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Banques ; Le pari gagnant de Coris Bank

11/08/2019
Source : Jeune Afrique
Catégories: Sociétés

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En moins d’une décennie, le groupe s’est développé au Burkina et dans toute l’Afrique de l’Ouest. Souvent critiquée, sa stratégie fondée sur le financement des petites entreprises est-elle précisément la clé de son succès ? Décryptage. Le basculement est passé inaperçu. À peine quelques amateurs de tableaux financiers s’en sont-ils rendu compte en consultant le dernier rapport de la Commission bancaire de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) publié en novembre dernier. À la fin de l’année 2017, Coris Bank International (CBI) a décroché la 7e place du classement des principaux groupes bancaires exerçant dans l’Uemoa, dépassant allègrement BNP Paribas et raflant 5,3 % des actifs du secteur, contre 4,1 % pour son concurrent français, soit 140 points de base gagnés en une seule année. Le groupe créé en 2008 par Idrissa Nassa sur les cendres de la Financière du Burkina, un établissement de crédit alors en grave difficulté, talonne désormais NSIA Banque, du tycoon ivoirien Jean Kacou Diagou (5,5 % du bilan régional, après le rachat des actifs en Afrique de l’Ouest francophone du nigérian Diamond Bank). En moins d’une décennie, sans tambour ni trompette, depuis son QG avenue Kwamé-Nkrumah, à Ouagadougou, Idrissa Nassa a étendu la toile de Coris Bank International, du Burkina Faso au Bénin, à la Côte d’Ivoire, au Mali, au Sénégal et au Togo. Entre 2010 et 2018, son bilan a quintuplé, et ses revenus ont quadruplé, respectivement à 1,75 milliard et 86,2 millions d’euros. CBI a engrangé en moyenne 23,5 millions d’euros de bénéfices par an depuis 2010. Pour le bonheur des investisseurs de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) d’Abidjan – 1,25 million d’actions de CBI proposées à la vente en novembre 2016 ont été écoulées en six heures – et de ses actionnaires institutionnels tels que la BOAD et la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) du Burkina. « La gouvernance saine et robuste conjuguée à la réorganisation hiérarchique et fonctionnelle permet une plus grande efficacité dans la prise de décision et la conduite des opérations, souligne l’agence de notation Wara dans un récent rapport. Cela devrait permettre à CBI d’envisager la construction d’un véritable groupe bancaire sur la région Uemoa ». Mais quelle est la stratégie de CBI ? Contrairement à celles de certains leaders du secteur qui misent aussi sur des grandes entreprises ou lancent de grands projets de transformation – l’ambition numérique d’Ade Ayeyemi pour Ecobank, le positionnement maroco-subsaharien impulsé par Mohamed el-Kettani avec Attijariwafa Bank ou celui, plus large, s’étendant vers la Méditerranée et l’Asie souhaité par Othman Benjelloun pour BMCE Bank of Africa –, celle d’Idrissa Nassa est concentrée sur les PME. Comme si, plus colonel que général, plus habile tacticien que stratège d’état-major, le financier burkinabè était resté, au fond, l’entrepreneur et le commerçant qu’il était dans les années 1990 et 2000, opérant par coups, élargissant étape par étape l’envergure de Coris, au rythme de ses besoins et en suivant le flot naturel des échanges – souvent informels – entre le Burkina et ses voisins de la sous-région. Certains concurrents sont prompts à dénoncer les limites de cette approche, insistant sur les périls de l’informel. « Nos standards internationaux ne nous permettent pas de cibler le type de clientèle que finance Coris Bank dans la région », tranchait récemment un des cadres ouest-africains du français Société générale. Cette clientèle (PME, TPE et commerçants) est « naturellement risquée », relève pour sa part l’agence Wara, qui alerte sur les profils de liquidité et l’écart de maturité entre les ressources et les emplois de Coris Bank International. En 2018, son portefeuille de créances représentait 92 % de sa base de dépôts clientèle et 56 % de son bilan. Or, le profil de refinancement de la banque est dominé par des dépôts de courte durée, dont la proportion est en progression (61 % en 2018). Mais il n’est pas impossible que ce pari risqué soit précisément la source du succès de la banque régionale. « Ce qui fait la notoriété de Coris auprès du secteur informel burkinabè, c’est la vision de son fondateur, axée sur la célérité dans la prise de décision et surtout sur la prise de risque dans le financement des PME-PMI et des très petites entreprises que les autres banques rechignent à soutenir », glisse un banquier de Ouagadougou, fin connaisseur du secteur. Coris Bank compte en tout cas poursuivre son élan. Selon les informations de Jeune Afrique, elle va lancer en septembre prochain, à Ouagadougou, les activités de Coris Méso Finance. À la limite entre la microfinance et la banque classique, cette filiale entend accompagner le développement des très petites et moyennes entreprises (TPME). Elle est dotée d’un capital de 1 milliard de F CFA (1,5 million d’euros) entièrement souscrit par Coris Holding – qui chapeaute les activités du groupe financier, contrôlé par Idrissa Nassa. Une décision qui s’impose, alors que la part des PME dans le portefeuille de crédit du groupe atteint 60 %. Avec une structure spécialisée, Coris peut poursuivre sa croissance sur ce segment en limitant le risque pour le reste de son activité bancaire classique et en mobilisant moins de provisions et de capitaux. « Avec une volonté de créer plus de proximité et de servir les PME, notre cœur de métier, il nous est apparu nécessaire de créer une entité spécialisée à leur financement. Celles-ci représentent pourtant environ 90 % des entreprises en Afrique et constituent ainsi le plus grand potentiel sur notre marché, explique Idrissa Nassa à JA. L’aspect le plus complexe est la maîtrise du risque, or nous avons déjà démontré notre savoir-faire et notre capacité à financer de telles firmes. » Une analyse que partage Jean-Luc Konan, fondateur de Cofina. Le spécialiste ouest-africain de la mésofinance, avec 158 milliards de F CFA au bilan en 2018, prépare d’ailleurs le démarrage de ses activités au Burkina durant ce mois d’août. « Coris est un groupe qui se développe bien dans notre région. Il a su s’adapter à l’environnement parce que son fondateur est d’abord un entrepreneur ayant une parfaite connaissance du marché avant d’être un banquier. Il connaît les besoins immédiats de la clientèle », explique son confrère ivoirien. Selon lui, « l’arrivée de nouveaux acteurs est un moyen de développer ce marché, tout comme la multiplicité des opérateurs de téléphonie l’a permis dans le secteur des télécoms ». Au Burkina, ce segment compte déjà un acteur de poids avec Baobab (ex-Microcred), dont l’encours de crédit en Afrique atteignait 850 millions d’euros en 2017. Avec la mésofinance, Idrissa Nassa ajoute une nouvelle corde à l’arc du groupe. Même si « 60 % à 65 % du bilan proviennent de l’activité bancaire », selon Diakarya Ouattara, patron de CBI Burkina, il s’est déjà diversifié dans d’autres métiers de la finance (assurance, bourse, gestion d’actifs, etc.) et même au-delà (lire ci-contre). En dix ans, au Burkina Faso, CBI est devenu la première banque en taille de bilan (avec 19,6 % de part de marché) et en ce qui concerne les emplois clientèle (19,4 %). Dans le même temps, le groupe bancaire continue d’être un acteur majeur du financement de l’économie burkinabè. Ainsi, les crédits nets à la clientèle du groupe ont crû de 18 % sur un an, pour atteindre 637,7 milliards de F CFA, alors que l’encours de dépôts s’établit à 700 milliards, soit une croissance de 13 % sur un an. Pour soutenir cette hausse, la banque a ouvert sept nouvelles agences au Burkina en 2018, en a relocalisé deux autres dans des locaux neufs et a créé deux nouvelles agences dans ses succursales au Bénin et au Sénégal. Le marché de la mésofinance participe également à contrebalancer le poids de l’activité bancaire au Burkina Faso, alors que le pays des Hommes intègres n’est pas à l’abri des soubresauts – comme la révolution ayant mené au départ, à la fin de 2014, du président Blaise Compaoré – et reste sous la menace du terrorisme jihadiste. En dépit de son expansion dans l’espace Uemoa, CBI reste une banque domestique, ce qui la place « en situation de vulnérabilité vis-à-vis des enjeux macroéconomiques du Burkina, dans un contexte sécuritaire et social incertain », prévient Wara. Interrogée par JA, la direction du groupe bancaire assure que cette prédominance à vocation à reculer, sinon disparaître. « Nous escomptons, assure Idrissa Nassa, une baisse progressive du poids du Burkina dans le groupe avec la montée en puissance des filiales », notamment ivoirienne, malienne et togolaise. Par ailleurs, le groupe indique avoir transformé des succursales du Bénin et du Sénégal en filiales et avoir investi 10 milliards de F CFA dans chacun de ces marchés. Coris garde également dans son viseur le Niger, huit ans après une première tentative malheureuse. Le rachat de 35 % du capital de la Banque internationale pour l’Afrique-Niger, sa première acquisition hors des frontières burkinabè, avait finalement tourné court en raison de l’opposition des employés et des actionnaires privés, contraignant Coris à céder ses parts à Niamey. Toutefois, le groupe bancaire entend, selon nos informations, investir plus de 5 milliards de F CFA dans ce pays, et table sur un démarrage des activités avant la fin de l’année 2019. Pour l’état-major de l’entreprise (lire p. 72-73), cette implantation devrait lui servir de tremplin pour parachever son implantation dans la zone Uemoa. Celle-ci constituerait, au demeurant, un prélude à une prochaine aventure africaine. Si un de ses responsables assurait à JA, il y a quelques années, qu’une implantation en dehors de la sous-région ne serait envisagée qu’à moyen terme, il semble que cette éventualité soit plus proche qu’escompté. « Presque toutes nos filiales ont atteint leurs objectifs de départ. Cela nous permet d’envisager une sortie hors Uemoa. Je peux vous affirmer qu’en 2019 nous ferons une expérience », annonce Idrissa Nassa, sans toutefois fournir plus de détails sur ces nouvelles ambitions. Certains proches du dirigeant burkinabè, notant ses nombreux voyages au cours des derniers mois, désignent parmi les cibles prioritaires un tiercé constitué de la Guinée, du Ghana, voire du Gabon. L’incertitude demeure quant à la forme de cette implantation : par le rachat d’une filiale ou par une création en greenfield ? Comme l’a prouvé l’épisode nigérien, Coris Bank peine à s’imposer lors des bras de fer pour la reprise des actifs africains. L’an dernier, Idrissa Nassa avait finalement renoncé à s’emparer de la Banque commerciale du Burkina, détenue à parts égales par Ouagadougou et la Libye, à travers la Libyan Foreign Bank. En 2017, l’entrepreneur avait aussi jeté l’éponge pour la reprise de la Banque de l’habitat du Burkina Faso, finalement tombée dans l’escarcelle de Mahamadou Bonkoungou, patron du groupe de BTP Ebomaf, qui l’a recapitalisée à hauteur de 23 milliards de F CFA et l’a rebaptisée IB Bank. Avec l’ouverture par BNP Paribas d’une « réflexion stratégique » en vue de céder sa participation dans le capital de ses banques de détail au Burkina, au Mali et en Guinée, Idrissa Nassa s’était positionné pour la reprise des trois filiales. Mais il a finalement renoncé alors que l’identité de l’acquéreur n’est pas encore connue. « Ces désistements sont à interpréter comme une démarche de prudence et une volonté d’encourager nos compatriotes [burkinabè] à se lancer dans la banque pour créer ensemble un pool fort », insiste Idrissa Nassa. Contraint dans les opérations de fusions-acquisitions, le groupe burkinabè a plus de succès du côté de ses partenariats et des greenfields. Coris Holding a en effet bouclé un accord-cadre de coopération avec le groupe bancaire camerounais Afriland First Bank du financier camerounais Paul Fokam. « L’enjeu est de mutualiser nos capacités, y compris nos systèmes monétiques, et d’échanger des informations. L’accord prévoit que nous participions au cofinancement de grands projets », explique-t-on à Coris Holding. S’il ne s’agit pas d’une implantation, cette alliance permet à Coris de mettre un pied en Afrique centrale, loin de Ouagadougou, où l’aventure a démarré. 

 

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