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L’expérience des pays pétroliers africains nous a toujours enseigné que les lieux où sont découverts l’or noir (le pétrole) et le gaz font l’objet de toutes les convoitises et de tous les abus. C’est donc l’occasion d’avouer que les valeurs ajoutées qui pourraient être tirées de l’exploitation de ces richesses peuvent être annulées par l’action néfaste de forces obscures, l’absence de maitrise des véritables enjeux et même par l’immobilisme des acteurs dans certains secteurs de l’économie nationale.
Fort heureusement, la prise en compte d’un «Contenu local» et son encadrement embryonnaire initié par la loi constituent au moins l’expression d’une volonté politique protectrice des intérêts socio-économiques du Sénégal. Les avantages réels qui pourraient en découler laissent présager d’un lendemain meilleur pour tous les secteurs de l’économie qui s’y prendraient à temps en faisant montre d’un esprit d’anticipation et d’adaptation.
Pour rappel, la gestion du «contenu local» constitue une occasion inespérée pour notre pays de relever le «plateau de compétence» et le «plateau d’affaires» des Entreprises nationales sans discrimination en vue de « renforcer leur compétitivité nationale et internationale ». L’objectif visé par les pouvoirs publics à travers ladite loi adoptée le 24 janvier 2019 serait sans conteste le développement de l’économie nationale par une croissance surtout inclusive avec comme levier principal la prise en compte et la préférence des Entreprises nationales dans tous les domaines où elles peuvent intervenir et qui seraient en relation avec la chaine d’exploitation des ressources pétrolières et gazières
Dans le secteur financier et des Assurances particulièrement, la réalisation de cet objectif devra passer par la domiciliation locale optimale des risques à assurer et le maintien autant que possible des flux importants de capitaux dans le marché sénégalais et même africain (CIMA) de l’assurance et de la Réassurance.
Il faudrait néanmoins reconnaître que, jusqu’à ce jour, le marché sénégalais n’a pas encore proposé des solutions adéquates pour le relèvement de sa faible capacité d’absorption des flux financiers susceptibles d’être mis en jeu dans le cadre de l’assurance des risques inhérents et connexes aux hydrocarbures. Certes, un pool pétro-gazier a été créé, mais il favorise une cession de la quasi-totalité des primes générées auprès des compagnies de réassurances étrangères hors zone CIMA en général et hors marché sénégalais en particulier, malgré le régime protecteur de l’article 308 du code CIMA. Une importante fuite de capitaux au détriment de l’économie nationale s’en suivra; ce qui serait aux antipodes de la philosophie du «local content » et des intentions réelles des pouvoirs publics.
Il appartient alors aux professionnels de l’assurance d’en informer correctement ces derniers (les pouvoirs publics) avant la prise des décrets d’application de la loi sur le « local content », de réfléchir aux possibilités de favoriser en priorité une augmentation considérable de la capacité du marché sénégalais des Assurances en sus des opportunités offertes par le marché de la CIMA. L’article 308 du code CIMA a certes prévu, en fonction de la nature des risques, des cas d’interdictions de placement hors zone, des cas de restrictions, un régime minimal, mais également et SURTOUT des cas de liberté totale de placement hors zone CIMA, dans les autres marchés africains et du monde entier.
A l’analyse, cette disposition est importante mais insuffisante pour bien protéger le marché sénégalais de la réassurance dans ce contexte particulier du «contenu local» à propos des risques hydrocarbures. En effet, son efficacité suppose toujours que ce marché local parvienne au moins à augmenter sa capacité de façon extrêmement conséquente.
Pourtant, le «contenu local » dans le secteur des hydrocarbures constitue la plus grande opportunité économique jamais offerte à l’industrie de l’Assurance et de la Réassurance au Sénégal. Au cas où aucune initiative n’est prise dans le sens de l’augmentation de la capacité du marché sénégalais, nous (les assureurs) regretterions pendant des décennies un échec dont nous serions solidairement les principaux responsables vis-à-vis des générations futures.
Par ailleurs, l’exclusivisme qui prévaut dans l’organisation mise en place par les compagnies d’assurances mettant complètement à l’ écart les sociétés de courtage d’assurances (Assureurs-Conseils) dans le processus de réflexion, de prise en charge et de couverture des risques du marché ne fait que conforter cette absence d’ambition pour le marché Sénégalais.
L’urgence actuellement serait dès à présent de camper sérieusement et sans délai les axes de réflexion de façon inclusive et de mettre en place des solutions durables dans l’intérêt de toutes les parties suivantes :
les acteurs du marché : Compagnies d’assurances, Réassureurs et sociétés de courtage d’assurances et de réassurances,
les populations pour la création d’emplois et d’une industrie d’assurance crédible dans l’intérêt de tous les assurés.
l’Etat et l’économie nationale pour la rétention locale des importants flux financiers
Et enfin les investisseurs pour répondre à une excellente opportunité d’investissement. Ces groupes d’investisseurs pourraient même inclure des pétroliers sans pour autant atteindre un niveau d’implication qui entrainerait le contrôle de notre industrie de réassurances ou d’assurances par ces derniers.
Suivant le processus en cours et les projections d’exploitation du pétrole et du gaz dès 2022, c’est le moment ou jamais de prendre toutes les dispositions législatives, règlementaires, corporatistes et associatives adaptées qui faciliteront la réalisation des objectifs de la loi sur le «contenu local» à propos du secteur des Assurances. J’insiste sur ce point essentiel et nous ne devons certainement pas attendre l’exploitation des 1ers barils pour essayer d’instaurer un dynamisme de réflexion crédible et assoir une organisation digne de ce nom capable de prendre en charge toutes les questions relatives aux assurances et leurs conséquences. Les professionnels de l’assurance doivent comprendre en effet que les questions posées par le «contenu local » sont plus complexes qu’elles ne le paraissent. Ces propos qui précédent sont autant une prise de conscience personnelle qu’une alerte générale destinée au monde des Assurances et à l’Etat du Sénégal.
Compte tenu de ces éléments, il serait essentiel de nous arrêter sur les propositions suivantes, qui, à défaut d’apporter une solution définitive à cette question fondamentale du « local content » dans le secteur des Assurances, participeraient au moins à poser le véritable débat.
Les unes (propositions) permettraient de résoudre des difficultés de fond liées aux conditions légales et règlementaires,
les autres (propositions) permettraient de mettre en place une solution organisationnelle dans l’industrie des Assurances pour plus d’efficacité et d’efficience en vue de favoriser les retombées espérées dans ce secteur.
1. QUELLES REPONSES ORGANISATIONNELLES DU MARCHE SENEGALAIS DE L’ASSURANCE FACE AUX NOUVELLES OPPORTUNITES ?
Les compagnies d’assurances, pour prendre en charge leurs propres intérêts solidaires ont certes toujours fait preuve d’une bonne capacité d’organisation quand il s’agit de faire face à certaines situations ou difficultés du marché depuis la création de la Fédération des Sociétés Sénégalaises d’Assurances (FSSA) jusqu’à sa mutation en Association des Assureurs du Sénégal (A.A.S). Des commissions techniques ont été également mises en place de même que des pools dont le dernier créé sous le nom de « pool pétro gazier ». Quelques points noirs subsistent cependant : Le premier est celui relatif au conflit commercial et aux tiraillements récemment relevés entre ledit pool et une compagnie de la place (AMSA). En second lieu, les ambitions du pool pour le marché sont limitées.
Du coté des Assureurs-Conseils ou Sociétés de courtage d’assurances, malgré la création de la S.A.C.A qui prend maintenant le nom d’A.S.A.C, ces derniers devraient en principe s’adapter à la toute nouvelle situation en vue de porter sérieusement leurs aspirations et celles du marché directement liées à leur activité en mettant en place les structures suivantes:
– un pool de Co-courtage en Assurances et en Réassurances opérationnel dès maintenant. Le Co-courtage local obligatoire constituerait en effet un autre excellent moyen de rétention d’une grande partie des primes (commissions) dans l’économie nationale pour compenser la faible capacité du marché. Cette partie de la prime sera distribuée de façon égalitaire entre les sociétés de courtage membres dudit pool.
Par exemple sur un même risque que le pool de Co-courtage serait contraint de placer en réassurance facultative ou en fronting hors zone, 20% de la prime nette en moyenne reviendront au Co-courtage en assurance en terme de commission. Concernant le Co-courtage en réassurance sur le même dossier, 32% en moyenne de la part de prime à céder (après les cessions légales) seront répartis entre le pool de courtage en sa qualité de courtier de réassurance et le pool des sociétés d’assurance considéré comme « la cédante ».
Au-delà du soutien technique et commercial essentiel que les courtiers locaux (nationaux et filiales) peuvent apporter au marché et à l’économie, ces éléments précités sont assez suffisants pour justifier leur intégration dans le processus de mise en œuvre du « contenu local ».
– un secrétariat permanent ou une Direction exécutive pour ledit pool. Elle permettra de gérer les intérêts techniques solidaires de l’ensemble des sociétés de courtage dument agréées par l’Etat du Sénégal qui seront naturellement intéressées sur toutes les affaires découlant du «contenu local» à charge pour cette dernière (Direction exécutive) de les examiner et de les traiter avec le pool des compagnies d’assurances. Ce travail technique de placement concernera aussi bien la couverture en Assurance que les cessions en réassurance facultative. Néanmoins, compte tenu des charges fixes inhérentes aux missions assignées à cette Direction exécutive et de la faiblesse des moyens disponibles, son fonctionnement ne devrait être effectif qu’après la réalisation des premières affaires sur lesquelles les assureurs-conseils sont automatiquement intéressés par une obligation légale ou réglementaire.
C’est une démarche juridiquement et matériellement possible. Elle favoriserait des relations plus équilibrées entre Compagnies d’assurances d’une part et Sociétés de courtage d’autre part à propos de la prise en charge des affaires découlant du «contenu local».
– une « Commission mixte AD HOC» pourrait également être mise en place d’un commun accord entre les deux pools en vue de traiter ou de trouver des solutions aux difficultés exceptionnelles qui pourraient survenir dans la mise en œuvre de la loi sur le «contenu local» et le traitement des dossiers complexes qui nécessitent une concertation entre tous les acteurs directs du métier. Elle pourrait être composée de façon égalitaire de représentants des compagnies et de ceux des Assureurs-Conseils. Le nombre des représentants pourrait être déterminé d’un commun accord. Ils seront choisis parmi les membres des pools respectifs
-Enfin une Commission Mixte Elargie pourrait éventuellement mettre à contribution de façon ponctuelle le COS Pétro-gaz et les organisations d’investisseurs qui seraient intéressées par la création de sociétés d’assurances et surtout de réassurances locales dans le but d’augmenter considérablement la capacité du marché Sénégalais apparemment trop faible au regard de la dimension des risques petro gaziers et des primes susceptibles d’être générées.
N’oublions pas que le marché des assurances devrait être la photographie exacte du niveau de développement économique, l’intervention de l’Etat pour faciliter le processus étant une condition essentielle.
2. QUELLES REPONSES LEGALES ET REGLEMENTAIRES ?
Cette organisation proposée ne serait «parfaite» que si les professionnels de l’assurance anticipent sur les mesures règlementaires d’application (décrets et arrêtés) de la loi sur le «contenu local».
Cette loi est certes salutaire parce qu’elle a le mérite d’exprimer une volonté politique réelle et de poser un principe à travers son article 10 qui fait de l’assurance le seul secteur cité. Il s’agit d’un véritable clin d’œil de la part des autorités étatiques et un grand avantage moral pour l’industrie des assurances comparée aux autres activités économiques ; mais cette disposition légale demeure naturellement insuffisante parce que générale. Du point du vue des techniques juridiques de réglementation, les décrets d’application devront déterminer les conditions pratiques dans lesquelles notre profession pourrait en bénéficier efficacement dans son intérêt et dans l’intérêt de l’État, des populations et de l’économie nationale. En d’autres termes, c’est en fonction de ces mesures d’application que la vision des assureurs pourrait être réalisée. A ce propos, ils devraient pouvoir, ensemble et bien sûr dans le cadre des organisations indiquées plus haut, proposer les mesures d’application (par décret) suivantes :
Favoriser une obligation d’assurance locale pour toute souscription d’assurances concernant les risques pétroliers et gaziers,
Instaurer une obligation de Co-courtage local (donc seulement pour les courtiers locaux agréés ) sur les risques pétro-gaziers et sur toutes autres souscriptions d’assurances de Tiers à la demande des Industries , des exploitants et/ou de ceux qui interviennent dans les domaines en relation avec la chaine d’exploitation, de production, de sécurisation, de commercialisation et de distribution des ressources pétrolières et gazières.
A ce niveau, une précision s’impose : Les filiales des sociétés de courtage étrangères feront partie de ce Co-courtage piloté par le secrétariat exécutif ou direction exécutive du pool de courtiers. Ce serait le seul moyen de faire obstacle au système consistant à piloter la souscription des risques pétroliers depuis l’étranger par des courtiers internationaux directement choisis par les grandes firmes pétrolières et gazières dans le cadre de leurs programmes de gestion.
Prévoir des dispositions de placements prioritaires en réassurance auprès des réassureurs Sénégalais (il faut en créer d’autres) et Africains au-delà des cas de cessions légales auprès de la SENRE et de ceux prévus par l’article 308 nouveau du code CIMA.
Enfin et surtout, favoriser des dispositions prévoyant des cadres et des possibilités de concertations ultérieures entre tous les acteurs du secteur, l’Etat et la (sa) Direction Nationale des Assurances, les investisseurs et toutes les entités intéressées par ce secteur. En effet compte tenu de l’ampleur des risques et de l’importance des flux financiers qui seront libérés dans l’économie par l’industrie des assurances, ce secteur devient du coup l’affaire de tous les citoyens assurés ou non. Cette dernière disposition s’inscrira en droite ligne avec la nécessité de restructurer progressivement le marché des assurances pour parvenir à une augmentation conséquente de sa capacité : Création de nouvelles sociétés de Réassurances, création d’autres sociétés d’assurances aux pleins de rétention important etc…
Personnellement, je pense que la volonté politique ne manque pas, c’est du moins l’impression que j’ai eu après l’intervention du président de la République à l’occasion de l’atelier sur le contenu local organisé le 2 juillet 2019 au CICAD de Diamniadio. Par ailleurs, à l’analyse, aucune de ces propositions n’est contraire aux lois communautaires. Par conséquent, Il nous appartient à nous autres assureurs de l’y (Président de la République) aider en lui apportant notre expertise, nos conseils objectifs pour la réussite du « local content ». En fin de compte, l’objectif final de ces propositions serait la prise en charge et la protection des intérêts généraux du métier et de l’économie nationale en dehors des intérêts partisans de certaines structures et personnes isolées.
Voilà la démarche que nous pensons être moralement juste, techniquement et juridiquement valable et enfin économiquement utile à travers ses retombées positives. Ces dites retombées pourraient faire éventuellement l’objet d’une analyse approfondie avec l’aide des économistes. Nous en avons entrevu quelques aspects qui ouvrent toujours la voie de la réflexion économique.
3. QUELLES RETOMBEES POSITIVES POUR LE SECTEUR DES ASSURANCES ET L’ECONOMIE NATIONALE ?
Les mesures et organisations proposées devraient en principe produire les effets positifs déclinés ci-après :
Existence de nouvelles opportunités d’investissements pour les investisseurs en particulier dans le secteur des assurances
Un secteur des assurances qui sera désormais en mesure de suivre et de profiter de l’évolution de la situation économique qui naitra de cette nouvelle donne pétro gazière à travers des concertations (entre acteurs, Etat et investisseurs). Par un effet inverse, ce secteur pourra aussi participer de façon active au refinancement de l’économie Sénégalaise.
Relèvement du plateau de compétence et d’affaires des sociétés actrices (Compagnies d’assurances et sociétés de courtage) opérant dans le marché sénégalais
Maintien des importants flux financiers dans l’économie du Sénégal, découlant de l’assurance et de la réassurance des risques pétro-gaziers. Ce maintien se fera à travers les obligations fiscales, les investissements des assureurs dans presque une bonne partie du secteur socio-économique, les auto-investissements dans le même secteur des assurances, les placements bancaires qui joueront sur la bonne liquidité de ces institutions, les souscriptions conséquentes aux obligations d’Etat dans le respect de la règlementation communautaire des assurances et enfin et surtout la création de nouveaux emplois.
La possibilité pour les 77 sociétés d’assurance-Conseils agréées de jouer pleinement leur rôle et de disposer de revenus financiers permettant de participer activement au développement de l’économie, à la création de nouveaux emplois encouragée par l’Etat et au développement d’autres secteurs à travers les opérations d’investissements qui seront réalisées. Au surplus, la participation automatique de ces courtiers permettrait de retenir une bonne partie des primes (30% en moyenne) dans l’économie sans que cela puisse dépendre du niveau de capacité du marché.
Enfin par son Chiffre d’affaires, le bon positionnement du marché sénégalais dans la zone CIMA
Je reste persuadé que la prise en compte de l’ensemble de ces paramètres sera sans aucun doute bénéfique à tous les intérêts nationaux sans pour autant remettre en cause ceux des investisseurs étrangers déjà établis dans notre pays.