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Ce qui fait actuellement fluctuer le taux livre/dollar sur le marché noir

03/11/2020
Source : L' Orient-Le Jour
Catégories: Indice/Marchés

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Après avoir subitement baissé dans le sillage de la désignation, le 23 octobre, de Saad Hariri au poste de Premier ministre chargé de former un nouveau gouvernement, le taux dollar/livre a recommencé à grimper ce week-end.

Arc-boutée sur une moyenne plutôt stable de 6 600/6 700 livres pour un dollar sur le marché noir tout au long de la semaine, la monnaie nationale a brutalement décroché samedi pour dépasser la barre des 7 000 livres.

La tendance s’est prolongée depuis, avec un pic à près de 7 800 livres avant un repli aux environs de 7 300 en milieu de journée hier.

Pour beaucoup d’observateurs qui suivent l’évolution de la livre depuis le début de la crise économique et financière, il y a plus d’un an, ces récentes fluctuations ne résultent pas d’un jeu naturel entre l’offre et la demande de devises sur le marché noir.

Pour rappel, si la Banque du Liban (BDL) publie chaque jour le taux imposé aux agents de change agréés – à 3 900 livres le dollar depuis des mois – c’est bien le taux de change flottant adopté par les revendeurs illégaux qui fait office de métronome pour les agents économiques, lesquels adaptent leurs prix en fonction de son évolution.

Approche « microstructurelle »

La livre a commencé à décrocher par rapport au dollar à partir du moment où la BDL a cessé, dès l’été dernier, d’injecter des dollars sur le marché pour soutenir la parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar en vigueur depuis 1997.

Une mesure prise pour tenter de ralentir l’érosion de ses réserves de devises mais qui a déclenché une crise de liquidités qui couvait depuis des mois et dont les effets ont été amplifiés en deux temps : d’abord avec la mise en place des restrictions bancaires sur les opérations en devises; puis, dès avril, avec la publication de plusieurs circulaires permettant de retirer en livres et à un taux plus proche du marché les montants en devises déposés dans les banques nationales et qui ne pouvaient plus être retirés dans leur monnaie initiale.

Ce mécanisme, incarné par la désormais célèbre circulaire n°151 de la BDL, dont la durée d’application a été prolongée de six mois en octobre, a contribué à faire exploser la masse monétaire en circulation, ce qui, combiné à la rareté du dollar sur le marché, a accentué la dépréciation de la livre.

La demande est, elle, restée forte, entretenue par le fait que le pays importe la majorité de ses besoins et qu’une partie des ménages envoient de l’argent à l’étranger pour divers motifs (notamment pour financer les études de leurs enfants).

Pour le professeur Hassan Ayoub, enseignant à la faculté des sciences économiques et de gestion de l’Université libanaise où il dirige le département d’économie, « il est aujourd’hui inutile d’essayer d’expliquer les dernières fluctuations du taux de change en tenant simplement compte des variables macroéconomiques fondamentales », comme les prix, l’offre de monnaie, les taux d’intérêt, les écarts de productivité, la dette publique, les termes de l’échange, etc.

Il appelle en revanche à privilégier une approche « microstructurelle », qui consiste à étudier les dynamiques des prix en analysant la manière dont ces échanges sont effectivement organisés, ce qui permet d’avoir une vision plus réaliste appréhendant mieux la complexité des rapports entre les acteurs.

Un parti pris d’autant plus crédible que le marché actuel est complètement déréglementé, notamment en raison de l’absence de volonté politique pour légaliser les restrictions bancaires ou en raison de la liberté de mouvement quasi totale dont bénéficient les agents de change du marché noir.

Le rôle trouble que jouent les banques et la BDL dans cette configuration pèse également dans la balance.

Contacté, un expert qui tient à garder l’anonymat rappelle que la BDL avait fourni à plusieurs reprises des estimations sur le volume des transactions sur le marché noir sans expliquer comment elle avait pu obtenir ces chiffres.

Il souligne également qu’en mai, un cadre de la BDL et un banquier avaient été arrêtés puis relchés dans le cadre d’une vaste opération des services de sécurité ordonnée par le procureur financier Ali Ibrahim au cours de laquelle plusieurs agents de change illégaux et agréés, dont des responsables syndicaux de la filière, avaient subi le même sort.

« Plusieurs mois après, les agents illégaux font toujours ce qu’ils veulent sans que cela ne fasse réagir personne », déplore l’expert.

Autres paramètres

Le cadre étant posé, il reste à savoir quels sont les paramètres qui, en plus du jeu de l’offre et de la demande, font le plus évoluer le taux dollar/livre.

Hassan Ayoub évoque par exemple les « facteurs psychologiques » liés à l’instabilité du contexte politico-sécuritaire, local et régional dans lequel évolue le pays.

« Dans ce contexte, la nomination de Saad Hariri a contribué à rassurer les marchés (…), mais cette situation est purement circonstancielle et n’a pas vocation à durer, surtout si la formation du gouvernement se fait attendre trop longtemps », ajoute l’économiste.

Pour rappel, le précédent chef de l’exécutif, Hassane Diab, avait démissionné an août suite à la tragique double explosion qui a ravagé Beyrouth et son port.

Hassan Ayoub souligne aussi l’impact des « stratégies de spéculation » de certains acteurs, sans pouvoir définir exactement lesquels, compte tenu de l’opacité ambiante sur le marché.

« Les fluctuations à court terme sont beaucoup plus corrélées aux stratégies des agents et à leurs réactions aux informations d’ordre économique et politique qui peuvent conduire à de brutaux réajustements de leurs anticipations », expose-t-il.

« Certains agents ont injecté des dollars pour influencer l’évolution du taux en fonction de leurs intérêts et objectifs », explique-t-il encore, rappelant qu’une partie des observateurs accusaient la BDL elle-même d’être à la manœuvre, tandis que d’autres pointent du doigt les manipulations d’un « cartel ».

Mais le paramètre selon l’enseignant reste « l’asymétrie d’information », à savoir l’existence de plusieurs catégories d’agents : ceux qui ont des informations pertinentes sur les tendances sur le marché des changes et ceux qui ne les ont pas.

C’est typiquement ce qui s’est passé après la désignation de Saad Hariri.

Selon plusieurs témoignages concordants, les rumeurs annonçant une baisse durable du taux dollar/livre ont commencé à fuser, après la désignation, sur les réseaux sociaux et les groupes de messagerie instantanée – dont le rôle dans la manipulation du marché est également suspect.

Le dollar était alors encore aux environs de 7 000 livres sur le marché noir avant le week-end et des informations l’annonçaient à 5 000 livres lundi.

Beaucoup de Libanais, mal informés et craignant une poursuite de la tendance, se sont rués chez les agents de change pour vendre une partie de leurs devises à des taux souvent plus bas que ceux diffusés sur les différentes applications qui ont germé durant la crise.

Ceux qui doutaient de la pérennité de cette baisse ont préféré garder leurs devises chez eux.

Les agents du marché noir ne semblent pas avoir eu de scrupules à jouer cette carte.

Un revendeur illégal que L’Orient-Le Jour a contacté proposait, par exemple, 580 000 livres pour racheter 100 dollars alors même que tous les sites et applications l’annonçaient à plus de 6 000 livres, même à l’achat.

Interrogé sur la légitimité du prix proposé, l’agent s’était alors contenté de répéter que le taux allait rapidement baisser et que le prix proposé restait une affaire.

Selon une autre source, financière cette fois, il arrive souvent que les applications et les agents illégaux diffusent un taux alors que très peu voire aucune transaction significative (de l’ordre de quelques milliers de dollars au maximum) ne sont enregistrées – soit parce que personne ne cherche des devises, « soit parce que personne ne souhaite en vendre ».

En conclusion, s’il est presque impossible pour les non-initiés de prédire l’évolution du taux dollar/livre même à court terme, la meilleure stratégie reste encore de limiter au maximum les achats de devises en période de hausse et de saisir les opportunités qui se présentent en période de baisse.

Des aléas avec lesquels les Libanais seront contraints de vivre jusqu’à, faut-il encore le répéter, ce que le pays soit réformé en profondeur.


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