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Retrouvez toute l'information économique et financière sur notre application Orishas Direct à Télécharger sur Play StoreL’île, devenue paradis fiscal décomplexé, fragilise les économies africaines, dont elle siphonne les revenus
Rock, philanthropie et business, le trio gagnant ? Pour le chanteur irlandais Bob Geldof, l’Afrique c’est tout
ça à la fois. Si le continent s’est longtemps résumé pour lui à des tragédies, c’est surtout devenu un territoire
« d’extraordinaires opportunités d’affaires et d’investissements », selon ses dires.
L’aventure commence en 1985 alors que la famine sévit en Ethiopie. Mué en militant, l’ancien leader des
Boomtown Rats réunit en juillet une poignée d’amis rockeurs pour un concert decharité, le Live Aid,
retransmis par les télévisions du monde entier, qui rapporte 212,5 millions de dollars (190 millions d’euros)de
dons. La reine Elizabeth II l’anoblit l’année suivante.
Mais « Sir Bob » va changer de rhétorique au fil des ans. Plutôt quede « sauver l’Afrique », il s’inquiète de «
contribuer au développement économique » du continent. Pour ce faire, l’ancienne rockstar cofonde à
Londres en 2012 un fonds de « private equity », 8 Miles, qu’il préside sans en assurer la gestion. Le rockeur
ambitionne d’investir près de 224 millions de dollars dans des sociétés africaines d’agrobusiness, de santé,
d’éducation ou encore d’immobilier et de télécommunications.
Sociétés-écrans
Et si 8 Miles communique volontiers sur les vertus environnementales et sociales de ses prises de
participations – de 15 % à 45 % dans des sociétés africaines – pour un montant total de près de150 millions
de dollars, s’il insiste sur sa volonté d’« améliorer la transparence, la prise de décision et la
responsabilisation », le groupe de Bob Geldof communique moins sur le fait qu’il opère depuis Maurice,
plate-forme décomplexée de la finance offshore.
A Port-Louis, capitale de cette île africaine de l’océan Indien, les tours de verre ont poussé ces dernières
décennies, aussi vite qu’ont flétri les champs de canne désertés par une jeunesse qui a bien compris que le
sucre, longtemps la principale ressource du pays, ne représente plus que 1 % du produit intérieur brut (PIB),
contre 50 % pour le secteur financier.
Dans le quartier d’affaires, Cyber City, multinationales, entreprises africaines et investisseurs du monde
entier disposent de boîtes aux lettres, de sociétés-écrans et autres sièges sociaux virtuels, à défaut de
bureaux et d’employés. Tous profitent là de la stabilité politique de cetterépublique de 1,3 million d’habitants
aux avantages fiscaux et au secret garanti par les cabinets de conseil, les banques et le gouvernement. « De
par sa réputation, Maurice est utilisée par de nombreux fonds de capital-investissement, se défend 8 Miles.
Les entreprises africaines dans lesquelles nous investissons paient toutes leurs impôts dans leur pays
d’origine sur le continent. »
Or, selon un échange de courriels internes contenus dans les « Mauritius Leaks », si le siège social du fonds
de Bob Geldof a été discrètement établi à Maurice, c’est bien quand même « pour des raisons fiscales »,
entre autres. Cette enquête coordonnée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ)
et vingt médias partenaires, dont Le Monde, repose sur une fuite de 200 000 documents confidentiels
provenant du bureau mauricien du prestigieux cabinet d’avocats international Conyers Dill & Pearman.
Fondé aux Bermudes en 1928, ce cabinet s’est imposé comme l’un des spécialistes mondiaux de la finance
offshore et a travaillé surl’île Maurice de 2009 à 2017. Parmi ses clientsfigurent donc 8 Miles, mais aussi le
géant genevois du négoce de matières premières, Trafigura. La multinationale a recouru aux services de
Conyers Dill & Pearmanpour une transaction de 200 millions de dollars avec la filiale mauricienne d’une
entreprise indienne, portant sur une livraison d’essence, en janvier 2014, ou encore, pour faciliter le paiement
d’achat de ferronickel à une société émiratie.
Citoyenneté à 1 million de dollars
Pour écouler des véhicules de la marque Volkswagen au Malawi, au Kenya, en Zambie et au Zimbabwe, le
groupe français de distribution CFAO a, lui aussi, sollicité l’expertise du cabinet afin de créer, en mai 2014,
une filiale à Maurice. De même que le groupe minier d’origine kazakhe Eurasian Natural Resources Corp, qui
octroie cette même année un prêt de 30 millions de dollars à une société-écran mauricienne exploitant une
mine de charbon au Mozambique.
Autant d’opérations légales qui visent, pour la plupart, à faciliter et à opacifier des transactions sur le
continent. Tout en profitant d’un service haut de gamme et des avantages fiscaux – comme un taux
d’imposition sur les revenus des entreprises étrangères oscillant entre 0 % et 3 % – offerts par l’ancienne
colonie néerlandaise, puis française, avant de devenir une possession anglaise.
Maurice est devenue une sorte de Luxembourg de l’Afrique, inscrite sur la « liste grise » des paradis fiscaux
établie par l’Union européenne. Au grand dam des économies du continent africain fragilisées par
l’évaporation des revenus des opérateurs économiques locaux et étrangers dans des lacis de circuits
financiers. Des circuits qui mènent souvent à l’île de l’océan Indien, où un investisseur peut acquérir la
citoyenneté contre 1 million de dollars versé à un fonds souverain mauricien, ou un passeport, contre 500
000 dollars, avait indiqué, en juin 2018, le premier ministre, Pravind Kumar Jugnauth, lors de sa présentation
du budget devant le Parlement.
Maurice, dont le PIB s’élève à 13 milliards de dollars, multiplie les services et les innovations pour séduire les
entreprises du monde entier. Leurs actifs sur l’île sont aujourd’hui évalués à plus de 630 milliards de dollars.
« Les juridictions offshore, dont l’île Maurice, contribuent grandement à déposséder les pays d’Afrique de
leurs bénéfices », souligne Alexander Ezenagu, chercheur au Centre international pour la fiscalité et le
développement. L’évasion fiscale de même que l’optimisation causent en effet chaque année à l’Afrique des
pertes estimées à 50 milliards de dollars par l’Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE). Peut-être le double, selon la Commission économique des Nations unies pour
l’Afrique. Soit plus que toute l’aide au développement déversée sur le continent.
Pour attirer les investisseurs, l’île Maurice a multiplié les signatures de traités de non-double imposition sur
une transaction. Elle use et abuse même de ce procédé pour faire valoir les avantages évidents de sa
fiscalité. Quarante-cinq pays, dont quinze en Afrique subsaharienne, ont ratifié ces accords pourtant
déséquilibrés qui offrent une exemption de la double imposition. « Etant donné que notre modèle d’accord
repose sur les normes de l’OCDE ou de l’ONU, nous estimons donc que nos traités ne contiennent aucun
élément préjudiciable », insiste un porte-parole du gouvernement mauricien.
Pourtant, ces conventions fiscales sont de plus en plus contestées par les Etats africains eux-mêmes, qui
s’estiment lésés par Maurice. « Nous regrettons d’avoir signé ce traité [en 1997], confie ainsi à ICIJ un
responsable de l’administration fiscale du Lesotho, impliqué dans les âpres renégociations en cours. Seules
les entreprises en tirent profit et ça rend fou. » Il en va de même pour la Namibie et l’Ouganda.
En juin, le président sénégalais, Macky Sall, a, lui aussi, fermement exigé de rediscuter son traité, sans
exclure la possibilité de le rompre, avec Maurice, responsable de pertes estimées par son administration à
environ 257 millions de dollars au cours de ces dix-sept dernières années. « De tous les traités signés par
le Sénégal, c’est le plus inégalitaire », constate Magueye Boye. Cet inspecteur du fisc sénégalais a participé
aux discussions avec ses homologues mauriciens en 2018 et regrette que les promesses d’investissements
mirobolants, notamment dans l’industrie du textile, n’aient jamais vu le jour. Ce spécialiste respecté de la
fiscalité compare l’accord à « un gigantesque pipeline pour l’évasion fiscale ».
Dérives de corruption
Une métaphore d’actualité pour ce pays d’Afrique de l’Ouest qui a annoncé le début de l’exploitation de
gisements d’hydrocarbures à compter de 2022. Le président Sall veut éviter les dérives de la corruption –
dont le premier scandale a récemment éclaboussé son frère cadet – et empêcher l’accord avec Maurice
d’aspirer les futurs pétrodollars. Côté mauricien, on admet que « des renégociations sont en cours avec six
pays ».
« C’est enthousiasmant de voir réagir plusieurs pays africains qui réalisent à quel point les conventions
négociées avec un paradis fiscal comme Maurice compromettent leur souveraineté fiscale, constate, pour sa
part, l’économiste Jason Rosario Braganza, spécialiste des questions fiscales sur le continent. Il ne faut pas s’attendre à un impact immédiat, car ces renégociations et leur ratification prennent du temps. Objectivement,
les pays du continent africains n’ont aucun intérêt à conclure un nouvel accord avec Maurice. »
Une récente étude du Fonds monétaire international lui donne raison, concluant son analyse réalisée sur 41
économies africaines entre 1985 et 2015 par un constat limpide : « La signature des traités n’est pas
associée à des investissements supplémentaires et a tendance à entraîner des pertes de revenus non
négligeables. »
Pour 8 Miles, le fonds de capital-investissement de Bob Geldof, tout cela n’est qu’une affaire entre Etats : «
Nous nous conformons à ces accords, mais nous ne les faisons pas », insistent-ils, même si, pour entre
autres bénéficier des exemptions de double imposition, une société de gestion mauricienne, Eight Africa
Management (Mauritius) Limited, a été créée en 2013 par Conyers Dill & Pearman.
Des hommes d’affaires africains profitent aussi du dispositif. Et pas des moindres. Patrick Bitature est l’un
des oligarques les plus fortunés d’Ouganda. Avec son conglomérat, Simba Group, il orchestre un empire
économique est-africain actif dans les secteurs des télécommunications, de l’énergie, des médias, de
l’éducation... Il gère la plus importante centrale thermique d’Ouganda avec l’une de ses sociétés,
Electro-Maxx. Celle-ci est présentée sur son site Internet comme « le premier et le seul producteur
indépendant d’électricité en Afrique d’une capacité supérieure à 20 mégawatts (MW), créée et financée par
des Africains ».
Selon les « Mauritius Leaks », Patrick Bitature a bénéficié en 2011 d’un prêt personnel d’un montant de 2,5
millions de dollars octroyé par une société domiciliée aux Bermudes par le biais d’une autre société établie à
Maurice, African Frontiers. Cette dernière a également proposé un investissement de 17 millions de dollars
dans Electro-Maxx et a pris soin de bénéficier des avantages du traité de non-double imposition scellé entre
Maurice et l’Ouganda, où ses revenus auraient été soumis à un impôt de 30 %. Ainsi liée financièrement à
une société hébergée sur l’île de l’océan Indien, Electro-Maxx peut continuer de revendiquer son africanité.
Tout comme la société nigériane d’investissement Venture Garden Group, spécialisée dans le
développement de solutions technologiques pour l’industrie financière. A Lagos, la capitale économique du
géant d’Afrique de l’Ouest, elle est considérée comme un poids lourd du bouillonnant écosystème
numérique. Elle anime d’ailleurs un espace innovant et collaboratif baptisé « Vibranium Valley », en référence
au métal précieux dont regorge le Wakanda, pays africain imaginaire dans le film à succès Black Panther. «
Transformer l’Afrique par la technologie », tel est le motto de Venture Garden Group.
« Continent du futur »
Cette holding, qui compte parmi ses clients la vice-présidence du Nigeria, a établi en 2015 sa complexe et
opaque architecture financière à Maurice, avec l’aide de Conyers Dill & Pearman. Cette même année, les
dirigeants de ce fleuron de la scène « tech » nigériane y évoquent également le transfert de tous les droits
de propriété intellectuelle du groupe lors d’une réunion confidentielle dont l’enregistrement sonore figure dans
les « Mauritius Leaks ». Ce que conteste néanmoins l’équipe juridique du groupe : « Ce n’est pas un
mécanisme frauduleux ni d’évasion fiscale, mais vous devez savoir que cela n’a pas été discuté ni effectué. »
Le cofondateur et PDG de Venture Garden Group, Bunmi Akinyemiju, a été récompensé en 2017 par le
Parlement britannique pour sa contribution à la transparence et à la bonne gouvernance grâce aux nouvelles
technologies. C’est la face visible du monde merveilleux de la ruée vers l’Afrique. Une manière de faire
oublier l’évasion fiscale pratiquée à grande échelle. Parfois par nécessité tant les infrastructures et les
systèmes financiers sont fragiles ou défaillants dans certains pays. Mais toujours au détriment de ce que les
investisseurs désignent publiquement comme le « continent du futur » dont le symbole de réussite est, pour
certains, incarné par Maurice.
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